samedi 31 décembre 2016

La fleur rouge

Vsevolod Garchine
L'Arbre vengeur
EAN : 9791091504027

sorti le 10 juillet 2013
langue française
46 pages


Résumé : Les fous ont beaucoup à dire aux hommes qui les jugent et s'en débarrassent, impuissants. Celui qui débarque dans cet asile russe découvre que le Mal absolu a pris les atours de trois fleurs de pavots rouges et il n'aura de cesse, au péril d'une vie qu'il est prêt à sacrifier, de les arracher.

Mon avis : Dans cette nouvelle de 1885, et dès la première ligne, Garchine nous plonge dans la folie d'un homme, un sujet qu'il connaît bien en ayant été lui-même la victime.
Son écriture lyrique et précise, haletante, donne un attrait inquiétant à son texte sans qu'aucune des actions ne le justifie réellement, lui conférant ainsi une puissance incroyable qui captive le lecteur. 
Le fou déborde d'humanité, il est attachant dans ses questions existentielles, dans la destinée qu'il se crée pour donner un sens à sa présence en ce lieu. Il se voit comme un élu, l'homme qui doit sauver le monde du Mal absolu représenté par trois petites fleurs dans le jardin de l'hôpital. Mais sa mission, primordiale, est toujours entravée par les médecins, au cœur dur, qui apportent une certaine violence à ce texte. 
Ainsi, trois points de vue sont mis en valeur dans ces 50 pages : le regard du fou, émouvant, celui des médecins, froid et distant, et celui du narrateur, cynique, ce qui confère à cet hôpital une atmosphère étrange et inquiétante qui est d'autant plus visible que ce lieu contraste avec la beauté de ces trois fleurs qui exacerbent la folie du personnage.
Finalement, Garchine nous pousse à réfléchir sur la folie, l'isolement, la façon dont ces personnes sont perçues et traitées par la société.

Une oeuvre sombre et sensible.




"Son état d'esprit était un curieux mélange de jugements corrects et d'absurdités."
La fleur rouge                 

dimanche 18 décembre 2016

La tombe des lucioles

Akiyuki Nosaka
Editions Philippe Picquier
EAN : 9782809710564

sorti le 6 janvier 2015
langue française
144 pages


COUP DE CŒUR !

Résumé : Japon, été 1945. Après le bombardement de Kobe, Seita, un adolescent de quatorze ans et sa petite sœur de quatre, Setsuko, orphelins, vont s'installer chez leur tante à quelques dizaines de kilomètres de chez eux. Celle-ci leur fait comprendre qu'ils sont une gêne pour la famille et doivent mériter leur riz quotidien. Seita décide de partir avec sa petite sœur. Ils se réfugient dans une grotte en pleine campagne, mais bientôt la nourriture commence cruellement à manquer.

Mon avis : Ce livre m'a beaucoup surprise. D'abord, je ne savais pas qu'il y avait deux nouvelles (le fait qu'il y ait deux traducteurs aurait pourtant dû me mettre sur la voie...), et puis, je ne m'attendais pas du tout à une telle écriture ! Les phrases sont longues, certaines font la moitié d'une page, avec des digressions, des changements de narrateurs, et où le vulgaire côtoie le classique... Je l'ai trouvé plutôt dur à lire à cause de ça, mais j'en garde un très bon souvenir.
La nouvelle La tombe des lucioles, qui narre la vie de deux enfants pendant les bombardements américains, était très émouvante. Elle est à l'origine du film, aujourd'hui très connu, "Le tombeau des lucioles" mais le vocabulaire, très visuel, utilisé par Nosaka enlève le côté poétique du film, j'ai eu l'impression de lire une histoire totalement différente ! Le texte est très sombre, avec les lucioles pour seules lueurs, seul espoir, dans un Japon en guerre, très réaliste. Nosaka ayant perdu sa mère et sa sœur durant la guerre, connaître son passé me l'a rendue d'autant plus touchante que j'y voyait là une sorte de regret, une culpabilité d'avoir survécu sans les siens, dont il rend compte avec la mort de son alter-ego.
J'ai tout de même préféré la seconde nouvelle, Les Algues d'Amérique, car elle déborde de cynisme. La femme de Toshio, le personnage principal, invite chez eux un couple d'Américains qu'elle a rencontré pendant ses vacances à Hawaï et avec qui elle est restée en contact. Le lecteur va alors progresser dans un Japon schizophrène, perdu entre l'amour de sa patrie et l'admiration pour l'Occident, entre le passé et le présent. Cette nouvelle est provocante autant par sa vision des Etats-Unis que du Japon. Elle aussi prend son sens dans le contexte de la Seconde guerre mondiale, et est beaucoup moins axée sur les sentiments personnels, même si c'est par ce biais que Nosaka nous fait part de ce dilemme. On découvre plutôt une critique de la société japonaise qui se "vassalise" aux Etats-Unis, couplée de la rancœur de ceux ayant vécu la guerre et qui gardent une image de l'Américain arrogant et, surtout, ennemi. Malgré tout, on sent bien que l'objectif n'est pas de diaboliser les changements de mentalité et que Nosaka comprend même si il lui est difficile d'accepter.

Un même thème pour deux ressentis différents ; une lecture avec le cœur, et l'autre avec la tête.




"c'étaient des scintillements de lucioles juchées chacune au bout d'une feuille, il suffisait de tendre la main pour faire monter les petites lumières le long des doigts, "Regarde ! Essaie de la prendre !", il en fit tomber une sur la paume de Setsuko, mais elle ferma si fort son poing qu'elle l'écrasa"
La tombe des lucioles

vendredi 16 décembre 2016

Babylone

Yasmina Reza
Editions Flammarion
EAN : 9782081375994

sorti le 31 août 2016
langue française
220 pages


Résumé : "Tout le monde riait. Les Manoscrivi riaient. C'est l'image d'eux qui est restée. Jean-Lino, en chemise parme, avec ses nouvelles lunettes jaunes semi-rondes, debout derrière le canapé, empourpré par le champagne ou par l'excitation d'être en société, toutes dents exposées. Lydie, assise en dessous, jupe déployée de part et d'autre, visage penché vers la gauche et riant aux éclats. Riant sans doute du dernier rire de sa vie.
Un rire que je scrute à l'infini. Un rire sans malice, sans coquetterie, que j'entends encore résonner avec son fond bêta, un rire que rien ne menace, qui ne devine rien, ne sait rien. Nous ne sommes pas prévenus de l'irrémédiable."


Mon avis : Ce roman est assez dur à résumer, il semble se passer sur un laps de temps très court, mais avec beaucoup d'éléments différents. On suit Elizabeth Jauze, une femme de 62 ans qui vit un événement marquant à la suite d'une soirée qu'elle organisait chez elle, événement que je tairai pour ne rien dévoiler mais qui arrive très vite dans le livre.
L'intrigue en elle-même est crédible, mais manque d'originalité. Ce qui contrebalance ce point faible est l'écriture de Yasmina Reza, simple et plutôt agréable à lire, et même si cela me gênait au début pour me plonger dans l'histoire, je me suis vite habituée à la succession de phrases courtes et de passages plus longs. Cependant la structure du livre rend tout de même la compréhension assez complexe. Il n'y a pas de chapitres, peu de dialogues et beaucoup de digressions avec les souvenirs de la narratrice, ce qui fait qu'on a du mal à se repérer dans le temps. Malgré tout, ces choix de structure et d'écriture sont intéressants, c'est ce qui donne son originalité au texte, car ces changements de style permettent d'installer un certain rythme tout au long du récit, ce qui évite que le lecteur s'ennuie, et les nombreuses digressions font durer le suspense et apportent beaucoup de références et d'explications sur le comportement des personnages.
Ceux-ci ne sont pas nombreux, et seulement trois d'entre eux sont réellement décrits : la narratrice, Elizabeth Jauze, et ses voisins Jean-Lino et Lydie Manoscrivi. Je n'ai pas trouvé ces personnages attachants, bien que je pense que les deux premiers ne manquent pas de profondeur, et leur solitude, cette impression de perdre pied qu'ils ressentent, m'a touchée, ainsi que l'affection débordante qu'ils ont l'un pour l'autre. Quand à la dernière, je l'ai trouvée un peu exagérée dans ses traits mais je pense que c'est voulu ainsi, comme un moyen pour aider le lecteur à s'attacher aux deux autres personnages et à rentrer pleinement dans le roman.

Ce livre se lit facilement, l'intrigue est cohérente et on est impatient de connaître le fin mot de l'histoire. C'est divertissant, mais loin d'être un coup de cœur.





"Ces élans d'optimisme [...] qui nous font multiplier les choses pour les rendre aussitôt vaines. Les choses et nos efforts. Le mur devant lequel il se tient est gigantesque."
Babylone