dimanche 2 octobre 2016

Le Citron

Kajii Motojirô
Editions Philippe Picquier
EAN : 9782809709940

sorti le 7 mars 2014
langue française
125 pages


COUP DE CŒUR !

Résumé : "Pour tout dire, j'aime les citrons. J'aime leur couleur pure, comme celle de la peinture." Il y a une connivence immédiate entre Kajii et les choses. Regarder est pour lui "la seule manière vivante de vivre". Caresses, Sous les cerisiers, Le Citron... : l'écriture est d'abord sensorielle et la notation des sensations les plus fines, des moindres scintillements des objets animés et contemplés, nous convie à de nouvelles correspondances, à un rêverie dispensatrice d'émotion et de réconfort. Savon, crayons, bruit d'eau dans la forêt, grenouilles ou citron, les traces minuscules de la vie quotidienne révèlent leur beauté, leur monde secret à celui qui, les regardant de façon désintéressée, les nomme pour elles-même.

Mon avis : Pour bien comprendre ce recueil de nouvelles qu'est Le Citron, il est indispensable d'avoir quelques informations sur son auteur. Kajii Motojirô est né en 1901 et est atteint de tuberculose en 1917, la maladie, dont il mourra en 1932, va influencer sa vision du monde et de la vie. Ces aspects se retrouvent dans son recueil.
Composé de huit nouvelles, de longueurs inégales, l'originalité de ce petit livre réside dans cette vision de la vie à laquelle il nous invite. D'une écriture poétique, très axée sur les sens, Kajii nous emporte dans les corps de malades, se débattant entre des périodes lugubres d'ennui et de dépression et des instants de bonheur inattendus. Le livre ne contient pas vraiment d'action, il met en avant les sentiments, les sensations, grâce à des objets du quotidien et un style splendide, qui me rappelle par moment celui de Baudelaire. Le lecteur se retrouve dans une atmosphère de bulle, les sens exacerbés, à ressentir toutes ces émotions provoquées par la maladie, avec une intensité et une poésie que seul Kajii Motojirô pouvait nous offrir. Une histoire de partage et d'émotions.

En bref, un livre à vivre plutôt qu'à lire.




"Sous les cerisiers sont enterrés des cadavres ! Il faut s'en persuader. Sinon, n'est-il pas incroyable que les cerisiers fleurissent si splendidement ?"
Le Citron

samedi 24 septembre 2016

Exercices de style

Raymond Queneau
Editions Gallimard

sorti en 1979
langue française
160 pages



Résumé : Le narrateur rencontre, dans un autobus, un jeune homme au long cou, coiffé d'un chapeau orné d'une tresse au lieu de ruban. Le jeune homme échange quelques mots assez vifs avec un autre voyageur, puis va s'asseoir à une place devenue libre. Un peu plus tard, le narrateur rencontre le même jeune homme en grande conversation avec un ami qui lui conseille de faire remonter le bouton supérieur de son pardessus. Cette brève histoire est racontée quatre-vingt-dix-neuf fois, de quatre-vingt-dix-neuf manières différentes.


Mon avis : Un autobus bondé, un homme au physique et à l'accoutrement ridicule, une dispute puis une réapparition dûe au hasard... en somme, une histoire pour le moins banale. Cependant, Raymond Queneau nous prouve avec ce petit bijou littéraire qu'un scénario ne suffit pas à faire un bon livre. Grâce à ces nombreuses variations, je me suis rendue compte à quel point le style employé dans un texte compte ; il donne du sens, une certaine atmosphère, il va influencer nos impressions...
Co-fondateur de l'Oulipo, association qui réfléchit à la notion de "contrainte" et encourage ainsi la créativité, on retrouve dans cet essai de Raymond Queneau cet aspect, qui le rend assez étrange par moment. Certaines figures de styles sont exagérées, absurdes, d'autres rendent le texte illisible, le tout est un petit ouvrage curieux, marrant, que j'ai beaucoup apprécié et dont je ne me suis pas lassée ne serait-ce qu'une seconde (et pourtant, c'est bien la chose à craindre avec un essai de ce genre !) : de nombreuses figures de styles jouant sur les mots, déchiffrer ces textes m'a beaucoup amusée !

En bref, un énorme travail littéraire, des découvertes à chaque page, un livre audacieux et qui permet au lecteur de se rendre compte de toute la richesse de la langue française.

dimanche 18 septembre 2016

Les pêchers

Claire Castillon
Editions de l'Olivier
EAN : 9782823607901

sorti le 3 septembre 2015
langue française
208 pages


Résumé : Tamara est prisonnière. De son mari, Claude, qui veut faire d'elle une épouse modèle. D'Esther, la fille de Claude qui la surveille. Et de son amour perdu, à qui elle ne peut s'empêcher de rêver. La liberté lui fait peur, la captivité lui pèse. Elle ne peut ni rester ni partir.

Aimée, la mère d'Esther, semble parfaitement adaptée au monde tel qu'il va. Mais cette material girl cache une vraie fragilité. Et puis, il y a Esther... Adolescente, poète, espionne, innocente. Amoureuse. Son regard radiographie les adultes, ces gens étranges, incapables de voir la violence en eux.

Si c'était elle, la véritable héroïne de cette histoire ?

Elle ferait, alors, sans le moindre doute, une excellente victime expiatoire.


Mon avis : Ce roman se découpe en trois parties, dans lesquels trois femmes, liées, nous livrent leurs pensées intimes. On suit dans les deux premières parties Tamara puis Aimée, qui se débattent, à la recherche de leur liberté, à la recherche de l'amour. Ces femmes étant liées, j'ai beaucoup apprécié de connaître la suite de leur histoire, racontée par une narratrice différente, avec un regard différent sur cette situation.
La plume de Claire Castillon est acide, crue, déstabilisante. Elle nous plonge au cœur de ce tourbillon d'émotions, au milieu de la folie, de la rage, de la solitude... Cependant, si je me suis vite habituée à la plume de l'auteur, son style "parlé" m'a beaucoup dérangé au début. Elle dépeint un sexe faible, perdu mais luttant toujours. La guerre des sexes n'est pas un sujet qui m'intéresse énormément, mais la façon dont ce thème est traité dans Les pêchers m'a conquise grâce à ce regard totalement subjectif, à ce trop plein de sensibilité. 
La dernière partie concerne Esther, petite fille que l'on découvre par les regards de celles qui l'ont élevée. Mais lorsqu'elle raconte elle-même ses pensées, j'ai eu l'impression d'avoir un autre personnage sous les yeux. Abandonnée, à la recherche d'attention, elle devient le réceptacle des angoisses des adultes, de leur violence. Cette partie m'a beaucoup émue, mais aussi énormément dérangée justement à cause de toute la violence que cette enfant subit, tout en restant muette.

En bref, un texte bouleversant, acerbe, qui ne laisse pas indifférent.




"J'ai envie de rigoler, je me retiens, je sens la lumière au bout du couloir, c'est l'appel de la liberté, la porte qui s'ouvre sur un vent froid."
Les pêchers

samedi 27 août 2016

Neuroland

Sébastien Bohler
Editions Robert Laffont
EAN : 9782221144756

sorti le 19 mars 2015
langue française
615 pages


Résumé : La plus efficace des tortures est indolore.

Châtelet, gare de Lyon, Champs-Elysées. Trois attentats au cœur de Paris éventrent la capitale. Bilan : 53 morts.
Quelques heures plus tôt, le cerveau des attentats, un jeune djihadiste formé en Afghanistan, a été arrêté par la police. Protégé par le droit français, il s'est muré dans le silence. Pourquoi n'a-t-on pas su le faire parler ?
Saclay, région parisienne. Neuroland est un centre de recherches, le plus performant d'Europe. Deux jeunes chercheurs y travaillent à un projet révolutionnaire : un scanner superpuissant permettant de décoder les activités du cerveau.
Demain, on pourra lire dans les pensées.
Plus que jamais, celui qui possédera la connaissance possédera le pouvoir.

Mon avis : Ce thriller traite d'un débat du moment (bien qu'il ait été écrit antérieurement aux attentats) ; jusqu'où le gouvernement peut-il aller au nom de la sécurité ? Si le thème principal du livre est bien celui-ci, le sujet du terrorisme ne sert que d'excuse pour poser les bases de l'intrigue.
J'ai beaucoup aimé ce livre, le scénario mélange principalement sciences "dures", politique et violence tout en restant cohérent. Bien que je ne m'y connaisse absolument pas en sciences, les parties sur la neurologie m'ont beaucoup intéressée. Bohler est spécialiste en neurosciences avant d'être écrivain, mais ses explications restent assez claires en général ce qui rend la lecture agréable. Et ce parti d'utiliser la science comme un outil politique rappelle que beaucoup d'armes ont été créées par des scientifiques et qu'il est important d'avoir conscience des risques de certaines découvertes...
On suit dans ce roman plusieurs personnages qu'il serait possible de décrire comme "un psychopathe et ses victimes". De ce point de vue aussi, le roman m'a beaucoup plu ; d'un côté, un homme prêt à tout, charismatique et totalement abject et de l'autre des personnages ayant eu le malheur de lui déplaire, conscients ou pas de leurs situations, et qui depuis se débattent pour rompre les chaînes du destin qu'il leur a forgé. La plupart des personnages m'ont touchée, que ce soit par leurs qualités ou leurs défauts, je regrette seulement que l'on n'ait pas plus d'informations sur l'enfance du psychopathe en question.

En bref, un livre qui pousse à la réflexion, cohérent. Le début est un peu long, mais en s'accrochant on le dévore par la suite.




"-Si cette hypothèse est vérifiée, les conséquences peuvent être extrêmement graves. Il nous faut des preuves. Ces preuves,Milton, c'est vous qui allez les trouver."
                         Neuroland

lundi 15 août 2016

Chants du cauchemar et de la nuit

Thomas Ligotti
Dystopia Workshop
EAN : 9791091146135

sorti le 20 octobre 2014
langue française
241 pages


Résumé : Ce recueil regroupe onze nouvelles de Thomas Ligotti. Son style, mélangeant horreur et fantastique, se rapproche de ceux de Poe et de Lovecraft qui l'ont beaucoup inspiré. Bien que très célèbre dans les pays anglo-saxons, il aura fallu attendre 2014 pour qu'un premier recueil de ses nouvelles sorte en France.

Mon avis : Malgré des thèmes similaires, ces onze nouvelles sont très différentes les unes des autres ; on trouve tous les points de vues narratifs (externes, omniscients, internes), l'épistolaire côtoie le récit ainsi que bien d'autres genres. Je trouve cette diversité de textes très intéressante car elle offre un rapport complètement différent au lecteur pour chacune des nouvelles et qu'elle permet en plus d'avoir une vision globale du travail de Thomas Ligotti.
En ce qui concerne l'écriture de Thomas Ligotti, elle est très détaillée, tout en restant raffinée, avec beaucoup de descriptions relatives aux sens, cependant elle n'est pas aisée. Je pense que c'est cette combinaison d'éléments qui réussit à créer une certaine atmosphère tout au long du livre, que ça soit un malaise pendant quelques unes des nouvelles ou une impression de sortie brutale d'un cocon protecteur qui nous berçait jusque là de douces illusions. Cependant, malgré toute la richesse narrative et les idées originales de Thomas Ligotti, j'ai trouvé la fin de certaines nouvelles décevantes, avec une impression de manque.

En bref, onze nouvelles choquantes, grâce à une plume redoutable par son originalité et sa technique et une philosophie à la fois réaliste et pessimiste dans laquelle la vie est inutile et dénuée de sens.





"Il avait pourtant, dans certains livres, découvert des passages qui se rapprochaient de cet idéal, suggérant au lecteur que les pages qu'il avait sous les yeux allaient lui proposer une vision venue du gouffre et jeter une lueur hésitante sur de lugubres hallucinations."
Vastarien

lundi 18 juillet 2016

Zen

Maxence Fermine
Editions Michel Lafon
EAN : 9782749926971

sorti le 15 octobre 2015
langue française
134 pages


Résumé : "Chaque jour, de l'aube au crépuscule, Maître Kuro pratique l'art subtil de la calligraphie.
Pendant de longues heures, dans un recueillement proche de la plénitude, il reste agenouillé devant un rouleau de papier de riz et le recouvre d'encre noire.
Peu lui importe le vaste monde et ce qui le régit depuis des siècles. Il vit concentré sur son labeur et sur la direction, la finesse du trait qu'il dessine à main levée.
Avec verticalité, harmonie, simplicité et élégance.
Ainsi va la vie, tranquille et apaisante, de Maître Kuro."

Jusqu'au jour où...

Mon avis : Verticalité, harmonie, simplicité et élégance. Ces mots décrivent à merveille ce roman court. 
Maxence Fermine raconte le zen avec une écriture fraîche et épurée, les passages "explicatifs" (qui peuvent aussi bien être romancés tels que le quotidien de Maître Kuro qu'être plus "scolaires") dénotent une recherche sérieuse sur son sujet, même si certains de ces passages coupent le roman et installent une certaine distance avec les personnages. L'intrigue se base sur la relation entre Maître Kuro et sa disciple Yuna et avance tranquillement. Tout dans ce livre fait référence au zen. Les deux personnages forment le yin et le yang, et ce symbole est accentué par la fin du livre, simple et qui pourtant ressemble plus à un commencement dans le dénouement. 
Finalement, ce livre m'a fait voyagé au Japon, j'ai ressenti l'essence de cette philosophie, célèbre et pourtant méconnue. En le lisant, j'ai voulu en savourer chaque page, chaque mot...

En bref, un roman court, doux, apaisant, dont l'écriture épurée nous porte, nous fait ressentir la beauté de l'instant présent.




"La musique la plus difficile à créer, mais certainement la plus belle, est celle du silence."
Zen                 

dimanche 3 juillet 2016

Les pierres du rêve

Laurent Whale
Editions Multivers

sorti le 1 janvier 2016
langue française
ebook


Résumé« Les apparences sont souvent trompeuses, c’est une des premières règles que j’ai apprises. Alors, lorsqu’une blonde éplorée, carrossée comme un intercepteur buréen, vient vous demander assistance, vous subodorez une sacrée galère ! »

Dans ce monde où la nostalgie se meurt, la réalité n’est-elle que faux-semblants ?

Une vérité peut en cacher une autre. Les mondes parallèles se croisent et ne se ressemblent pas forcément. Nelson y plonge. Enquête. S’y noie. Y revit. Dans ce carrousel de mort, les noms tourbillonnent ; mais que sont les noms, sinon des étiquettes posées sur du vent ?
Depuis les colonies spatiales jusqu’aux cavernes de Bura-Pela, en passant par les bas-fonds de New Angeles, sa balade tragique tourne au vinaigre. Une course folle pour la vérité. Une course pour la vie. Et pourquoi vivre, si l’on ne rêve pas ?
Entre humour grinçant et règlements de comptes, Nelson promène sa nonchalance d’un autre âge à la face de ses contemporains excédés. Il y a de l’acide dans son scotch. Et ça, ça le met vraiment de mauvais poil, Nelson.

Mon avis : J'attendais beaucoup de ce livre, et je n'ai pas été déçue !
Au début, le style m'a beaucoup rappelé celui de San Antonio ; on suit les péripéties d'un narrateur-détective ressemblant à un adolescent libidineux. D'accord, dit ainsi, ça ne donne pas vraiment envie de le lire ! Pourtant le style familier, franc-parler du narrateur est "vivant", le récit est rythmé, avec beaucoup de métaphores (pas toujours poétiques) et de références, je l'ai personnellement trouvé très plaisant, relaxant. Le récit étant à la première personne, le lecteur évolue en même temps que Nelson, apprend à découvrir le vrai caractère de ce personnage, pas si dur que ça, et finalement on se retrouve plongé dans ses aventures, sans voir le temps passer... 
Et puis, savoir rythmer son histoire n'est pas le seul mérite de Laurent Whale : sous couvert d'une histoire principale placée sous le signe de l'humour, il traite aussi de sujets tels que la domination raciale, la dictature ou la différence, tout en subtilité, grâce à un univers de science-fiction.

En bref, un voyage à travers le temps et l'espace, plein de rebondissements, très bien ficelé, le tout avec un soupçon de philosophie... 




"Les pensées ne sont pas faites de mots, mais d'images associées à des émotions."

Les pierres du rêve